Le lait caillé de bufflonne (curd). Il est omniprésent au Sri Lanka, et vous ne pourrez pas passer à côté. C’est une excellente nouvelle, car il s’agit d’un délice vraiment crémeux et rafraîchissant. Dégustez-le avec son compère habituel, la sève de kitul brillante (sorte de jaggery liquide), ajoutez des morceaux de fruits tropicaux de toutes les couleurs ou saupoudrez des morceaux de noix de coco râpée sucrée. Consommez-le à toute heure du jour et de la nuit, mais prenez toujours le temps d’admirer cette concoction, car la préparation de ce lait caillé, surnommé mee-kiri, nécessite beaucoup de temps et d’efforts…
Petit retour en décembre 2018. C’est le matin, le temps est chaud et sec à Tangalle. Je roule lentement dans une voiture accompagné d’un guide, derrière un jeune Sri-Lankais à bicyclette qui roule prudemment avec de grands cartons verts de lait de bufflonne frais de chaque côté de son vélo. Il se fraye un chemin à travers un village aux tons émeraude orné de palmiers et le long d’un chemin de terre poussiéreux qui mène jusqu’à chez lui, avant de descendre de son vélo avec ses cartons. Je m’empresse de le suivre
Il s’appelle Gamini. Ce matin-là, il s’est réveillé à 6 h pour aller traire les bufflonnes qu’il possède avec son oncle. La famille a du mal à joindre les deux bouts, mais a tout de même tenté d’installer des caméras sur le terrain afin d’empêcher que leur bétail ne soit dérobé. Tous les matins, Gamini roule pendant une quinzaine de minutes afin de rejoindre la ferme et traire les animaux, un travail relativement laborieux sachant qu’il est handicapé de la main gauche depuis la naissance. Chaque lot de lait caillé dépend de la quantité de lait obtenue par Gamani ; la quantité de lait dépend de la quantité de nourriture consommée par les bufflonnes, ce qui dépend de l’intensité des précipitations. Pendant la saison sèche, ils n’ont donc pas de lait, pas de lait caillé et pas d’argent.
La famille de Gamani vient nous accueillir : sa jeune épouse Kalyani, ainsi que la mère et la sœur de la jeune femme, et deux enfants souriants. Kalyani emmène le lait dans un hangar en bois à l’arrière de la maison, près du jardin, où un chaudron géant est en train de chauffer sur un beau feu de bois. Elle place une mousseline sur le chaudron avant d’y verser le lait, afin de retirer les poils et autres résidus laissés par les bufflonnes. Cette technique de filtration est répétée plusieurs fois.
Il est alors temps de commencer à remuer le tout, mais il ne s’agit pas d’utiliser une petite cuillère ou une louche, non je parle ici d’un lourd bâton en bois. Kalyani est menue et a des bras fins, ce qui ne l’empêche absolument pas de mélanger le liquide avec ferveur, sans jamais se soucier de la chaleur et de la fumée qui envahissent le hangar. Je propose de partager mes talents de touilleuse à plusieurs reprises, ce qui fait bien rire notre gang (les muscles de mes bras sont quant à eux plutôt indignés). Après une quarantaine de minutes de chaleur et d’agitation constante, le lait commence finalement à bouillonner puis à bouillir, nous signalant (enfin) qu’il est temps de le retirer du feu.
Le lait caillé est alors versé dans une mini-armée de petits pots en terre cuite qui sont ensuite placés sur une table de la pièce de devant protégée par des moustiquaires, sous une ampoule. Kalyani ajoute délicatement un peu de lait caillé (culture) de son lot précédent dans chaque pot afin de faciliter le processus de fermentation. Rien d’autre n’est ajouté. Le caillé est ensuite laissé à refroidir pendant environ six heures. Le soir, Kalyani l’emmène jusqu’au stand de son cousin sur la route principale, où ils vendent le caillé préparé dans la journée.
On m’invite à goûter un bol de mee-kiri de la veille avec une bonne dose de sève de kitul bien collante. Je savoure chaque délicieuse bouchée, désormais consciente de toutes les étapes de ce long processus et des faibles profits obtenus en retour. Avant de partir, je retourne voir les bufflonnes avec Gamani. Je les remercie du fond du cœur d’avoir joué un rôle aussi crucial, et elles me regardent visiblement blasées. Elles sont vaches !
Cette expérience a été organisée par l’Experience Travel Group qui aide les voyageurs à profiter d’interactions et d’aventures fascinantes au Sri Lanka et dans d’autres pays.